Camille ou l’intérêt de la prise en compte de l’oralité dans le développement psychomoteur

Vignette clinique n°2 – Sensorialité

Présentation de la patiente

Camille est une petite fille âgée de 5 ans suivie en cabinet libéral de psychomotricité. Elle est atteinte d’un syndrome génétique affectant son système nerveux central entravant son développement moteur et intellectuel.

Elle présente également un trouble de l’oralité[1] important qui se révèle être un axe du travail en séance de psychomotricité.

Un profil sensoriel a été proposé au cours du suivi psychomoteur et a permis à sa psychomotricienne de quantifier et d’objectiver ses observations psychomotrices en séances avec celles de sa famille en situation écologique (domicile). Le profil sensoriel proposé est celui de W.DUNN (lien présentation outil).

 

Observations psychomotrices

Développement psychomoteur : Camille présente un retard d’acquisition de la marche. Elle a du mal à positionner ses articulations et gainer ses muscles pour assurer sa posture et les transferts du poids du corps nécessaires à ses déplacements. Le profil sensoriel réalisé par la psychomotricienne confirme qu’il y a un déficit proprioceptif important qui se manifeste par une recherche de sensations de mouvements (stimulations par des balancements, recherche de sensations fortes) et un déficit de la sensibilité tactile superficielle et profonde (peu de sensibilité à la douleur, aux températures).

La sphère orale : Camille a montré dans la petite enfance une sélectivité alimentaire concernant les textures. En effet, elle acceptait de manger uniquement des textures parfaitement lisses. A présent, elle présente plutôt une hyposensibilité orale c’est-à-dire qu’elle a tendance à mettre beaucoup d’aliments en bouche et qu’elle va rechercher à sentir et ingérer les objets non comestibles. Elle a donc un besoin important de se donner des sensations orales. Le profil sensoriel réalisé en psychomotricité confirme ce profil « chercheur et hyposensible ».

 

Une prise en charge complexe mais des pistes thérapeutiques psychomotrices

Sur le plan de la motricité globale : Au début de son suivi en psychomotricité, Camille ne savait ni se retourner, ni s’asseoir. Elle ne maitrisait pas encore les schèmes moteurs de base. Elle tenait assise avec une scission entre le haut du corps et le bas de son corps, qui était comme inexistant. L’un des axes de travail en psychomotricité a donc été le déplacement et l’expérience motrice, favorisant l’intégration du son schéma corporel et le maintien de l’autonomie motrice. La psychomotricienne qui la suit, lui propose des expériences motrices sur des surfaces dures (modules en bois) ou vibrantes. Ces dernières renvoient à Camille une meilleure perception de son corps (proprioception). Des bracelets lestés sont également proposés en séance de psychomotricité comme sur les temps familiaux pour renforcer la sensation de ses bras et de ses jambes. En parallèle, son suivi en kinésithérapie lui a permis de développer une meilleure tonicité et une musculature harmonieuse. Depuis, Camille accède à des déplacements au sol à 4 pattes mais peut également se tenir debout et esquisser quelques pas accompagnés. Sa progression est constante.

Sur le plan de l’oralité[2] : la recherche permanente de stimulations orales empêche Camille de développer ses capacités de manipulation des objets et de construction. La psychomotricienne qui la suit a donc développé, en relation étroite avec la famille, un projet de stimulation de la zone orale (buccale, péri buccale et nasale). Pour ceci, des massages sont proposés par la psychomotricienne et par les parents autour et dans la bouche de Camille. Un accent particulier est mis sur les saveurs : augmenter la force du goût ou le parfum des aliments, proposer des senteurs. Les parents de Camille qui pensaient qu’elle préférait les textures douces et sucrées ont d’ailleurs été surpris de voir à quel point Camille recherchait les goûts forts (acidité, amertume, caractère fort d’un fromage). En séance de psychomotricité, si un objet est proposé on y déposera une goutte d’huile essentielle (parmi celles indiquées pour un jeune enfant) ou bien on veillera à lui proposer des objets aux senteurs développées (ex : boite ayant contenu des mélanges aromatiques). Cette stimulation par l’olfaction, qui se fait « à distance de la bouche » a permis à Camille de mieux manipuler et observer les objets, sans avoir besoin systématiquement de les mettre en bouche.

Mains et bouche trouvent en effet des similitudes dans leurs propriétés tactiles mais aussi dans leurs situations anatomiques au niveau du cortex. En effet, les aires cérébrales sensitives et motrices des mains et de la bouche sont proches [5,6]. Ainsi lorsqu’une des deux zones est stimulée, l’autre l’est aussi. Ce rapprochement entre sensibilité manuelle et sensibilité buccale peut expliquer le réflexe nauséeux que Camille a présenté plus petite et qu’elle a petit à petit utilisé comme moyen d’expression de son mécontentement.

Afin de soutenir la dissociation des espaces manuel et oral, nous proposons en séance un travail de stimulation des sensations tactiles des mains, des pieds et du visage. En effet, d’après M.Boudou et A.Lecoufle, toutes deux orthophonistes  « l’investissement positif de la sphère orale s’étaye donc sur un investissement global du corps et ne se limite pas à la bouche en tant qu’organe fonctionnel » [2].

Pour cela, nous utilisons des objets différents en textures et en formes. Toute la difficulté est de proposer un espace d’exploration sécure sans venir contrarier l’espace buccal du patient ni son besoin de mise en bouche. C’est pourquoi, nous utilisons en séance un bac rempli de pâtes non cuites, pour proposer un objet de manipulation qui n’est pas dangereux car comestible.

L’utilisation du bac de pâtes s’est révélée être un formidable outil médiateur pour Camille. Tout d’abord, c’est un support offrant des sensations variées (sec, dur, arrondi, plat, lisse, rugueux…). Par ailleurs, les pâtes sont présentées à la patiente en grande quantité, elle peut donc y plonger sa main, se sentir massée et enveloppée. A cela s’ajoutent les possibilités de manipulations, il s’agit de petits éléments mobiles, ainsi Camille peut d’une part saisir en quantité dans la paume de sa main ce qui apporte une sensation de contenant/contenu ; et d’autre part, réaliser un travail autour de la pince fine avec la recherche de discrimination d’un seul élément mettant en jeu la coordination et la précision visuo-manuelle.

 

En résumé

La prise en compte des particularités sensorielles de Camille lui a permis d’une part, de mieux percevoir son schéma corporel pour investir sa motricité globale et d’autre part, intégrer la zone orale et pouvoir peu à peu s’en détacher pour développer sa motricité fine.

 

[1] Les troubles de l’oralité sont « l’ensemble des difficultés d’alimentation par voie orale » []

[2] L’oralité se définit comme « toutes les fonctions dévolues à la bouche à savoir, l’alimentation, la ventilation, l’olfaction, la gustation, la communication puis le langage » [1]. Elle est « fondatrice de l’être » [7]. La bouche est selon A.Bullinger le « premier espace ou se manifestent des fonctions instrumentales »[3].

La bouche située sur l’axe médian permettra aussi la réunion des deux hémicorps créant ainsi l’axe corporel. Elle participe également à la constitution des frontières corporelles se situant au carrefour entre le dedans et le dehors [3].